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Comme une bouteille à la mer
11 août 2007

La laitue dans la sacoche

(Texte corrigé)

Jordi, Catalan comme son prénom l’indique, et vivant dans une sombre ruelle perpendiculaire aux Ramblas à Barcelone, écrit dans sa chambre à son amie.

Mari Carmen  a son âge : 17 ans, et elle habite à Madrid dans la rue Padre Damián. Un quartier bourgeois conforme à la situation professionnelle de son père PDG d’un laboratoire pharmaceutique.

Cela fait longtemps que la famille de Mari Carmen passe les vacances d’été sur la Costa Brava chez les grands-parents maternels de la jeune fille.

Jordi et elle se sont connus sur une plage il y a cinq ans. Et depuis ils s’y retrouvent chaque mois d’août.  C’est ainsi que peu à peu ils ont appris à s’aimer.

Entre les étés, les amis s’écrivent. Jamais ils ne se s’appellent. Les parents de Jordi, le père maçon, la mère au foyer, trop pauvres pour s’en offrir une, n’ont pas de ligne téléphonique. Il y a un café en bas de chez eux, alors si besoin d’un service urgent, un médecin ou quelque chose comme ça, ces gens y vont. Cela fait des années qu’ils vivent ainsi, et cela ne crée pas de problème. Ni au jeune homme qui est disposé à travailler dur, en se passant des distractions comme du téléphone, pour payer ses études de droit afin de devenir avocat, métier dont il est sûr d’avoir la vocation. Il fondera un foyer et sera riche et heureux quoi qu’il advienne, surtout avec elle, sa belle Madrilène !

Si Jordi a tardé à répondre aux dernières nouvelles de Mari Carmen, c’est qu’il a une décision importante à prendre, et ce n’est pas simple de l’exprimer. Il écrit sur son bureau d’écolier, sous la lumière tamisée de sa petite lampe flexible, incurvée juste dans l’axe du papier à lettre devant lui. Il y met tout son cœur et la missive s’allonge…

A la fin, il la relit en s’attardant sur chaque mot, comme pour l’apprendre par cœur puisqu’il n’en gardera aucun double. Ce n’est pas comme avec les lettres de son amie dans le tiroir de son bureau. Il a tout le loisir de les lire, elles, encore et encore…

Il met les deux feuillets qu’il vient d’écrire dans une enveloppe. Il libelle l’adresse, se lève et sort acheter un timbre. Puis en rentrant, il poste le tout dans la boîte aux lettres à côté du café.

Mais Mari Carmen ne recevra jamais la belle lettre de son ami. Et le jeune Catalan, désespéré, attendra en vain  la réponse de sa bien-aimée à sa demande de fiançailles, car telle était la décision si dure à lui communiquer.

Et, déçue de sa lettre sans réponse, la jeune fille se tournera vers les yeux tendres de Pablo, un garçon de sa classe de lycée…

Madrid. Juin 1979. Heure du déjeuner à l’espagnole, c’est-à-dire entre 13 et 15 heures. Je rêvasse, derrière la fenêtre du salon, en attendant le repas.

Mes yeux se posent, au milieu de la rue, sur deux facteurs qui passent. Ils portent en bandoulière de grandes sacoches en cuir brun clair.

C’est la fin de la tournée, alors autant dire qu’elles se sont allégées de leur contenu postal, mais, dans celle de l’un des deux hommes mal fermée, des feuilles de laitue dépassent. Visiblement, il vient de faire ses courses. Il a dû finir plus tôt que l’autre qui, bien que sa sacoche soit vide, tient encore une lettre dans ses mains.

Il la montre à son collègue. Ils éclatent de rire. Et, en deux, trois mouvements, le détenteur de l’enveloppe la déchire.
Les morceaux, jetés en l’air, voltigent un instant puis retombent sur le sol. Tragique destin d’une lettre qui ne finira même pas dans une corbeille à papier…

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