Mes petits succès d’aujourd’hui et ma feue scolarité… (corrigé)
J’ai pourtant écrit un roman autobiographique. Cela ne devrait-il pas suffire ? Et pourtant, quantités d’interrogations m’envahissent l’esprit encore, quand je veux à tout prix me sortir de mon marasme existentiel. Je continue de subir des insomnies à relater mentalement des textes que je n’écrirai peut-être jamais. Ce sont souvent les contacts conflictuels avec les autres qui me les occasionnent. Il y a ceux qui me connaissent et me laissent tranquille, car ils savent combien je lutte comme Don Quichotte contre ses moulins, mais il y en a qui cherchent à tout prix à me faire rentrer raison. Ils me voient prétentieuse et fière, quand c’est la timidité qui provoque cette impression. Ils tentent de me démontrer mes torts par une critique appropriée ou erronée. Et cela finit par me faire mal stupidement et attise ma cogitation.
Et mes jeunes années refont un tour de noria…
A trois ans j’ai attrapé la maudite maladie que l’on appelle poliomyélite. Avoir, à l’époque où cela m’est arrivé et à cet âge si jeune, ce genre de handicap moteur non seulement limite le physique mais aussi l’essor intellectuel et social au moyen de l’obligée, mais nécessaire, éducation scolaire. J’ai passé plus de temps à faire de la rééducation, à subir des interventions pour faciliter la mobilité réduite, qu’à la construction de ma culture. C’est inévitable, mais par ailleurs bien pénalisant. Cela dit, j’ai cru en mon futur et en la vie. C’est un sublime cadeau, une découverte de tous les instants. S’il y a une valeur vraie dans ce monde, c’est bien l’existence et les principes fondamentaux qui la régissent, les sciences, les mathématiques, et l’art qui l’embellit, plus encore que les idées. Il n’y a rien de plus tangible que les idées car issues de l’homme, et rien de plus sûr que les concepts de la logique. J’aurais dû lire Jean-Paul Sartre et tous les philosophes pour asseoir ma pensée, mais je n’ai que ma vision des choses pour me clarifier.
Je voulais, gamine, devenir scientifique : astronome, n’importe quoi qui me rapproche de la découverte des secrets de la vie et de la nature. Mais on m’y a dégoûtée. Pensez donc, il fallait compter ! J’avais une forte allergie des chiffres sans bien savoir la cause… Et cela m’a démoli tout espoir d’avenir. Car les maths c’est obligatoire, sans elles on ne peut aller jusqu’au bout de sa scolarité.
L’école s’est terminée donc fort tôt pour moi. Après une seconde troisième durant laquelle je n’ai rien fait que de répéter le niveau brillamment nul de la précédente - même si celle-ci m’avait gentiment apporté le brevet avec l’oral de rattrapage -, après une tentative d’un BEP de comptabilité (pourquoi cette orientation pour une allergique aux chiffres ?), j’ai dit flûte et zut aux études ! Sauf à l’espagnol, puisque j’étais partie vivre à Madrid avec mes parents et qu’il fallait bien l’étudier pour me faire comprendre, et à la musique que j’avais débutée trop tard mais à laquelle je tenais. (Autre erreur et cuisant échec. Non pas que j’étais nulle, mais handicapée on ne se sert pas des pédales d’un piano etc.) Mais le retour à mon pays d’origine m’a encore fait perdre mes illusions. Et les deuils, et la santé s’en sont mêlés. Alors, oui, je me suis rabattue sur l’écriture chez moi à Paris…
Et aujourd’hui on me reproche mes petits succès récents. Mais c’est aussi ma revanche sur moi-même et mes faux-pas. Ne devrais-je pas en bénéficier ? Qui êtes-vous, vous qui me reprochez tout cela, me prévenez sur le fait que cela ne prouve pas mon talent, ou avez pitié de moi en douce en vous taisant ? Pourquoi me rabattre la joie de réussir quelque chose pour une fois ? Ne croyez pas que je sois dupe de ce que je suis vraiment. Mon talent ? Je suis la première à ne pas y croire. Je sais mon inculture mieux que vous, et mes défauts.
Je suis plus complexée de ce que l’on peut imaginer. Et mes succès, ils m’étonnent. Je ne les saisis pas plus que ça, je ne les comprends pas. Mais je les accepte. Et si j’arrive à maîtriser une bonne part de mes faiblesses un jour et réussir quelque chose, eh bien ce sera heureux ! Car cela donnera un sens à ma vie, et je pourrai mourir construite. Et si je touche toujours des droits d’auteur pour mes créations, je serai fière en effet que mes neveux les reçoivent encore bien après ma mort. On n’aura pas fait que m’aider à surmonter mes déficiences motrices et sociales, j’aurai payé ma dette envers la société ! Enfin, devrais-je le dire au conditionnel ? Oui, peut-être…