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Comme une bouteille à la mer
3 décembre 2011

Dans un train... (en épisodes après moult corrections)

Ceci est la première partie en épisodes d'une nouvelle plutôt longue (enfin je le crois, elle n'est pas toute écrite) qui portera un titre général différent de celui que je donne ici...

 

 

Dans un train…

 

Je rentrais à Paris dans un TGV depuis Grenoble, bouclant ainsi deux mois d’été merveilleusement ensoleillés dans les Hautes-Alpes où j’étais venue traiter mes bronches asthmatiques. J’étais encore tout émoustillée par des images de marmottes timides sortant de leurs terriers au bord des routes lorgnant d’un œil torve noir et blanc les voitures, de chalets aux toits en pente couverts de troncs de mélèzes, de prairies fleuries inspiratrices des peintres paysagers, de cours d’eau limpides où j’ai eu grand plaisir de boire, de balades en car… Toute la région est d’une beauté lumineuse à couper le souffle ! J’y serais restée indéfiniment… Mais tout a une fin, le pire comme le meilleur, surtout le meilleur !

 

Je me repasse volontiers le film de ma jeune vie, au début des années soixante, dans un train à vapeur revenant d’un centre pour petits polios en Alsace.
J’aime la locomotive qui souffle sa fumée, tire un serpent de wagons aux compartiments accueillants et, quand elle entre en gare, active une sirène pour nous prévenir qu’enfin nous pouvons partir et jouir du déroulement de la vue avec, en premier plan, les poteaux électriques en bois le long de la voie. Oh, le bruit sur les rails !... C’est comme l’accompagnement d’une chanson. Le train, le tambour en mouvement d’une machine à laver le linge, la soufflerie d’un aspirateur, cela me donne envie de chanter dessus. J’ai plein d’airs en tête. Je ne vais pas à l’école, ou plutôt c’est elle qui vient à la maison. Alors j’écoute la radio de ma mère dans ma chambre puisque je n’ai, hormis les devoirs de ma maîtresse qui vient trois fois par semaine, rien d’autre à faire et pas de copains avec qui jouer dans une cour de récrée ou en bas de l’immeuble. Une petite fille handicapée est très tôt livrée à la rêverie et à elle-même, au poids de la solitude aussi. Et c’est Dalida avec « Bambino », Dario Moreno dans « Si tu vas à Rio, n’oublie pas de monter… », que j’achève par un appuyé là-y’au, en guise de « là-haut » trop dur à dire ! Je soigne ma courte carrière de chanteuse aussi au centre alsacien. Avant de dîner, au réfectoire, le personnel m’ordonne :
― Chante, Clo !
J’obtempère, pas toujours de bonne humeur, n’appréciant guère ces drôles  d’exigences de grandes personnes. Je préfère suivre mes envies. C’est comme plus tard, quand enfin je sais lire, et qu’on m’offre des livres de mon âge, moi qui veux tout choisir ! Je convoite plutôt les bouquins de ma sœur ou de mon frère (des policiers qu’il dévore en même temps que son petit déjeuner !). Ils sont plus vieux donc libres, eux ! C’est ainsi que j’ai délaissé des auteurs importants comme Jules Verne, que j’ai lus (pas tous !) beaucoup trop tard…
Je veux chanter, mais ma mère me fait « Chut ! » en mettant son doigt sur sa bouche. Elle me dit :
― Viens, on va faire un tour !
Elle me lève et rabaisse ma robe d'un revers de main pour cacher les affreux carcans orthopédiques de mes jambes, devant le monsieur sur la banquette d’en face qui lit son journal. Je prends une canne dans ma main droite, et de la gauche la main de ma mère. Elle me demande si je n’ai pas envie d’aller faire pipi, je dis oui ! Alors nous allons aux toilettes au fond du wagon. Elle tire du papier hygiénique du rouleau accroché au mur pour essuyer la cuvette avant, car « On ne sait jamais qui s’assoit dessus ! Il pourrait te contaminer avec ses maladies… ». C’est vrai qu’elle est pleine de bonnes intentions avec nous. Pour qu’on n’attrape pas de poux, elle lave régulièrement et méthodiquement nos brosses et peignes à l’ammoniaque, cela pue dans tout l’appartement bien qu’elle ouvre les fenêtres en grand. Mais au moins c’est sain et propre !... Nous sortons des WC et rejoignons notre compartiment. C’est devant les fenêtres du couloir, avant d’entrer, que maman me sermonne gentiment.
― Le monsieur de la banquette qui lit son journal, il a son monde à lui.
― Un monde… comme la Terre ?
― C’est une façon de parler, ma chérie. Ça veut dire qu’il a tout plein de choses à penser.
― Comme moi quand je vois des images dans la tête, quand tu me racontes une histoire ?
― Oui. Alors, ce monsieur, il ne souhaite certainement pas que tu l’empêches de réfléchir, si tu te mets à chanter devant lui.
― On pourrait le lui demander ?
― Non, Clotilde ! À la maison, comme tu veux. Pas dans un train !
― D’accord, dis-je en boudant.
Nous avons repris nos places dans le compartiment. Je ramasse, au fond de la banquette, ma poupée inséparable du moment. Je la serre dans les bras et regarde par la fenêtre. Tout d’un coup, j’attrape la manche de ma mère – je me souviens encore de la tenue qu’elle portait, une jupe grise et une blouse blanche rentrée dedans –, et tire dessus avec acharnement.
― Maman !
― Quoi ?
― T’as vu les vaches ?
Je pointe la vitre du doigt.
― Eh oui, Clo ! Il y a toujours des vaches dans les prés pour regarder passer les trains.
C’est un cliché, certes, mais c’est si vrai !

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