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Comme une bouteille à la mer
27 octobre 2009

Le fleuve rougit (première partie - chap. 2) corrigé

Ce jour-là, le professeur de français était absent. Toute la classe de troisième était en étude. Une surveillante lisait un livre. À gauche de Solange, contre la fenêtre entrebâillée laissant entrer le soleil d’une magnifique journée qui faisait regretter d’être enfermé en classe, Simon dessinait des caricatures dans un bloc de feuilles blanches. D’abord Marie la bêcheuse du premier rang qui faisait tout pour attirer l’attention des profs, avec des petits yeux bleus ronds, une bouche en cul de poule prétentieuse, un menton fuyant et de grosses taches de rousseur sous deux tresses d’un rouge flamboyant. On l’appelait La Rouquine au collège. « Tant pis si cela lui déplaît, elle le mérite. » pensait Solange. Puis sur une autre feuille, Simon s’attaqua à la pionne assise au bureau du professeur. Il accentuait, comme celle d’un lutin, ses oreilles pointues dépassant de sa chevelure longue et brune. Trop drôle ! Malgré ses regards en biais sur les œuvres de son voisin, Solange essayait de brouillonner une rédaction qu’elle devait rendre la semaine suivante, si toutefois le professeur revenait.
   Au bout d’une heure et quart, alors qu’elle se concentrait sur le développement de son sujet : « On interroge un retraité sur l’actualité. Il dit qu’il ne lit pas les journaux et ne possède ni télévision ni radio. Qu’en pensez-vous ? » [Toujours entendre les mauvaises nouvelles, guerres, catastrophes, polémiques etc., c’est fatigant à la longue. Mais écouter à la campagne les oiseaux piaffer, respirer l’herbe coupée, entendre tinter un clocher au loin, tout cela reflète le bonheur et la paix…], Solange reçut une boulette de papier de Simon. Elle la prit sur son cahier, la déplia et lut : «Veux-tu qu’on sorte ensemble samedi ? ». Elle se retourna vers lui, inspecta son visage boutonneux par l’acné, ses yeux derrière des lunettes rondes en métal, sa mèche de cheveux gras châtains tombant sur le côté droit du front, son sourire timide et quémandeur. Elle tourna un instant la tête vers la surveillante, toujours les yeux plongés dans sa lecture, et se demanda bien pourquoi cette invitation subite. Ce serait la première fois qu’ils sortiraient tous les deux seuls. Pourquoi ? Que lui voulait-il ?
   ─Alors ? fit Simon insistant.
   Il avait dû parler trop fort pour que la pionne lève la tête et dise :
   ─Qu’est-ce qui se passe ? Qui a parlé ?
   ─Personne, Madame ! osa répondre Simon.
  ─C’est Simon, Madame ! ajouta l’impertinente Marie.
   ─C’est pas vrai ! rétorqua Solange.
   ─Un peu de calme, voyons. C’est bon pour cette fois. Mais ne recommencez pas. Vous m’avez comprise ?
   ─Oui, fit en chœur toute la classe. Et la jeune femme aux oreilles de lutin reprit son livre passionnant.
    Pendant tout le reste de l’étude, Solange termina sa rédaction au sujet qui ne l’emballait pas beaucoup. Simon dut attendre sa réponse jusqu’à ce que sonne l’alarme de la fin de ce qui aurait dû être leur cours de deux heures de français.
   Il réitéra sa question à Solange.
   ─Alors ?
   ─C’est OK.
   ─Chouette ! s’exclama le garçon. Et il sortit dans le couloir en sifflotant d’un pas alerte et joyeux. Il était grand pour son âge, un mètre soixante-quinze. Le sport et les promenades en forêt avec son chien, un labrador noir, lui donnaient un air athlétique qui n’était pas pour déplaire aux adolescentes du collège. Mais son visage aux stigmates ingrats de l’acné occasionnait certaine réticence, ce qui contre toute évidence ne rebutait pas Solange.

(A suivre)

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