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Comme une bouteille à la mer
24 janvier 2010

Ma résilience (corrigé)

Je me suis longuement penchée, dans mon roman, sur les théories d’Erich Fromm[1]. Je dois cette connaissance à ma psychothérapeute d’origine française à Madrid. Si j’ai suivi son analyse, ce n’était pas seulement parce que je n’allais pas bien. J’avais besoin de guides pour saisir l’âme humaine, puisque je n’avais pu étudier la philosophie (mes études n’ont pas été jusque là). Cette discipline apprend à penser, la psychanalyse aussi. Cela dit, la psychothérapie ne ressoude pas toutes les fêlures de l’âme. Mais on peut s’en sortir, si on accepte de refaire le travail par soi-même chaque fois qu’on doit lutter contre l’adversité.
Mes problèmes ont diverses origines, mais le plus important reste lié à mon état physique. Quand on a été tenu à l’écart par une scolarité tronquée, il est très difficile de se faire une place dans la société même sous l’égide de ses parents. Pire encore lorsqu’on a vingt ans dans un pays qui vous est complètement inconnu. J’ai étudié à fond l’espagnol pour étrangers, ce qui m’a permis, avec la psychanalyse, de m’adapter à mon nouvel environnement. Ainsi j’ai aimé l’Espagne et appris à me faire des relations amicales et amoureuses plutôt absentes auparavant. L’hôpital, les centres spécialisés, l’école à la maison, tout cela est bien asocial. Madrid m’a fait connaître la vraie vie. Je lui en sais gré pour toujours. C’est curieux comme mon existence en France, mon pays d’origine mais dans lequel je ne suis pas née, était et est redevenue marginale. Avant l’Espagne, j’étais une polio en rééducation qui subissait de lourdes interventions chirurgicales. Après, c’est l’âge qui aggrave les séquelles. Á cela s’ajoute le fait que je n’ai jamais su exercer un métier. Je voulais devenir musicienne, et à Madrid j’ai appris la musique. Je suis trop tôt revenue en France pour terminer ces études. Loin de Paris, en banlieue, je n’ai pu donner suite à mes projets, et la marginalisation, vivant des prestations sociales, m’est réapparue.
D’Erich Fromm, je retiens qu’il faut s’unir aux autres et à soi-même, avec des liens spontanés et authentiques. L’amour est multiple et une faculté que l’on devrait acquérir, développer comme un art. C’est donner et non recevoir. L’amour exprime la vie, la réveille, la soutient. Sans aucune forme d’amour, on ne saurait vivre. Pourtant le manque d’une personne à aimer peut se compenser.
Notre société n’est pas habilitée à considérer l’amour, ni la nécessité de la liberté dans les activités, comme le voit Erich Fromm. Et ceux qui comme moi croient en ses pensées ont de nombreuses difficultés à se faire comprendre.
Si l’amour est un art, l’art est amour à mon avis. Si une personne ne vous aime pas ou vous fuit, l’art la remplace. Une œuvre peut toucher quelqu’un en éveillant à la vie quelque chose en lui, comme en l’auteur quand il la conçoit. Créer est donc un acte d’aimer.
Quand on est handicapé, timide, rejeté par soi-même et la société, il est bien difficile d’aimer et de garder confiance en la vie. Mais on renaît dans une activité créative, à condition qu’elle soit véritable et pas que pour tuer le temps. L’écriture est devenue la mienne. Internet m’a donné le moyen de partager mes poèmes et mes proses d’autodidacte amateur.
Ma sensibilité, ma mise à l’écart, ma fragilité m’ont fait perdre la tête quelquefois, mais elles me font aussi écrire au plus près possible de la réalité, de la pensée et de l’imagination. Et ainsi je revis…
Si on se sait mal construit et sans avenir, la lucidité de ce qui nous manque est terrible et augmente les complexes, et on devient oppressant auprès des gens susceptibles de nous apprécier. Il était un temps où je ne pouvais croire seule en mes capacités. Il me fallait le soutien des autres. Je voulais tant donner, aimer… J’en ai trop attendu. Leurs réactions m’ont fait payer lourdement mon comportement et obligée de me reconsidérer.
Il faut compter sur soi-même pour se réaliser, même à plus de cinquante ans. Si j’arrivais à obtenir quelque chose de correct de mes actes, je serais récompensée. Qu’importe quand, par qui et comment ! Je n’aurais pas vécu pour rien…
Je n’ai pas lu Boris Cyrulnik, mais j’ai cherché sur Internet des liens sur ce terme qu’il a inventé issu d’un phénomène physique, la résilience. Pour lui il s’agit d’une lutte pour se reconstruire après un choc psychologique. Il me faudrait beaucoup de temps pour retenir tout ce qui en est dit, et surtout lire les livres de Boris Cyrulnik. J’ai appris sur cet éminent psychiatre que pour lui « le deuil ne se fait pas avec l’oubli. L’oubli serait une sorte d’abandon et l’apaisement ne peut se produire en abandonnant l’être perdu. » et que « le déni conduit à une amputation de soi… Quand une part de soi est morte, il faut faire revenir la vie. ». Et il souligne qu’il faut combattre les fantômes. Je crois que l’on peut garder en mémoire les disparus. Par contre il faut accepter qu’ils évoluent s’ils sont toujours vivants. Les sentiments qu’ils nous ont provoqués un jour sont révolus, ce sont eux les fantômes dont il faut se garder d’évoquer. Il nous reste les doux souvenirs…
Boris Cyrulnik appuie l’importance du pardon, tout en considérant qu’il n’est pas toujours possible. Si personne ne peut me donner le sien, il serait bon que je me l’accorde à moi-même pour tout ce que je suis et ce que j’ai fait, mes échecs inclus, et le dérangement que j’occasionne à mon entourage.
Il parle de « douceur et de violence » dans la résilience, Boris Cyrulnik. Je ressens ce drôle de paradoxe, quand je pense aux gens qui m’ont fait du mal. Ils m’ont jugée, et je l’ai fait d’eux. Nous ne devrions pas échafauder des jugements hâtifs et définitifs sur l’apparence et quelques faits. Hélas, nous sommes tous ainsi, nous jugeons sans détenir tous les tenants et aboutissants des comportements humains.
Ma résilience à travers l’écriture arrivera à me faire passer tout cela. Je n’en voudrai plus à personne et cesserai de culpabiliser, la conscience apaisée.



[1] Psychanalyste d’origine allemande, disciple de Sigmund Freud, exilé du nazisme aux Etats-Unis et auteur des livres « L’Art d’aimer » et « La peur de la liberté » que j’ai lus et qui m’ont profondément marquée.

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